A.Dumas LAS a Madame (Mery) Millaud, femme de Moise Millaud fondateur du "Petit Journal"
S.l. (Naples), s.d. (vers 1865). 4p. in-16.
Dechirures et reparation, pales taches. Lettre de remerciement pour ses compliments sur son roman "La San Felice".
À Mme Moïse Millaud
[Naples, début janvier 1864]
Chère Madame
Ah vous faites des économies de papier pour m’écrire que vous m’aimez – Eh bien je mesure le mien à la grandeur du vôtre – ayant à vous dire exactement la même chose – Je ne connaissait point votre écriture, et votre portrait avant vote signature m’a dit que la lettre était de vous.
Ainsi vous parlez de moi là-bas – quand je n’ai moi personne avec qui parler de vous ici – vous avez Méry ce cœur d’or et cette parole d’argent – Méry qui avec votre mari font une paire de mes deux meilleurs amis – Comment ne m’aimeriez-vous pas un peu vous même – étant chauffée à leurs deux flammes.
Nous avons ici un tems excécrable et un Carnaval magnifique – Naples n’avait jamais eu de carnaval quand tout à coup il a pris l’idée au prince Humbert de lui en faire un – Hier nous avons eu 22 chars magnifiques atteignant les 2e étages des maisons – Et sillonnant une population de 300000 âmes entassées dans la rue de Tolède – quand donc Millad aur-t-il l’idée de vous faire voir Naples. Venez donc au mois d’avril prochain – C’est une affaire de 15 jours – Et je vous réponds que cela vaut la peine d’être vu.
Merci de ce que vous me dites de la San Felice - Cette musique de la louange, douce dans toutes les bouches, devient mélodieuse dans la bouche d’une personne que l’on aime car on a deux triomphes pour un - aussi j’attends avec impatience ce que m’en dira Méry vous avez jugé d’ensemble La San Felice avec votre cœur – Il la dissèquera avec son esprit et alors j’aurai une idée complète de l’effet produit par mon livre.
Mon roman ressemble fort à une vengeance - on m’a parfois si mal traité - et traité parfois encore si injustement qu’un succès après sept ans de silence sera plus qu’un succès ce sera un triomphe - Je veux bien que l’on me dise comme à César « souviens-toi que tu es mortel » mais je ne veux pas qu’on me dise « aperçois-toi que tu es mort. »
Méry est toujours gai - moi je suis devenu triste – Vous saurez un jour – quand on ne me criera plus – rien du tout – ce que c’est que de vieillir – cela vous introduit malgré vous dans la tête une foule d’idées lugubres qu’on est tout étonné d'y trouver, que l’on veut en chasser et qui vous répondent insolemment : - Pardon je suis chez moi. - Et en effet la preuve qu’elles sont chez elles c’est qu’elles y restent. – mais soyez tranquille le jour où j’irai vous demander à diner – je les
Enfermerai dans le coin de mon cerveau où elles sont établies et j’en mettrai la clef dans ma poche.
Dites à Millaud le plaisir que j’ai à voir grossir le chiffre des abonnés du Petit Journal. J’en ai des nouvelles, non seulement par le Petit Journal lui-même, mais par Cochinat, ce bon bohême que vous connaissez et que je ne saurais trop vous recommander de recommander à votre mari.
J’espère que l’idée que je plante dans votre cerveau de venir au mois d’avril à Naples sera tombée en bonne terre et germera – jamais je n’aurais fait mon métier de cicérone avc tant de joie.
Savez-vous l’heure qu’il est – 3 heures du matin – Aussi je cesse de vous écrire encore moins parce qu’il est trois heures du matin que parce que je n’ai plus de place – décidément je vous aime mieux que vous ne m’aimez puisque / verticalement dans la marge:/ mon papier est trop petit et que le vôtre a été trop grand.
Tous les respects du cœur
Alex. Dumas.
Autographe : collection David Rats. - Librairie À Saint Benoît des Près, n°100, septembre 2007, 4 pages in-12 sur papier bleu.